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Musée de Cahors Henri-Martin (Cahors)

 Rongo (c) MCHM - Photo : Nelly BlayaRongo (c) MCHM - Photo : Nelly BlayaRongo (c) MCHM - Photo : Nelly Blaya

© MCHM - Photo : Nelly Blaya

 


Statue du dieu Rongo

Iles Gambier
XIXe siècle
Bois, fibres végétales, pigments
73 x 18,5 x 14 cm
Don : Bonafous, 1834

Jusqu'en septembre 2000, les Polynésiens, la communauté scientifique et les amateurs d'art tribal ne pouvaient imaginer qu'une sixième représentation  du sixième fils de Tagaroa et d'Haumea ait pu prendre le large avant l'arrivée d'Honoré Laval et de François d'Assise Caret à Mangareva, le 7 août 1834. Ainsi préservée de la capture et du massacre des idoles perpétrés par les missionnaires de la congrégation de Picpus dans les mois qui suivirent l'instauration de leur théocratie sur l'archipel des Gambier, elle reposait sous une fausse identité, dans les réserves du musée de Cahors. Sa "(re)mise au jour" qui mérite autant l'attention que quelques éclaircissements suscite d'intéressants projets d'étude et d'exposition.

Pendant de longues années le musée de Cahors, créé en 1832, n'a pas bénéficié de moyens appropriés et l'inventaire de ses collections - constituées d'environ 10 000 objets relevant de l'Archéologie, de l'Histoire et de l'Art occidental - reprenait pour l'essentiel un document très imprécis : le catalogue imprimé de 1883. Comme nos prédécesseurs, nous nous sommes appuyés sur cet ouvrage pour entreprendre l'informatisation et la numérisation du fonds. A la page 22, nous nous sommes arrêtés au numéro 59 à "Divinité Néo-Calédonienne" puis aux numéros 63 et 64 à "arcs et flèches, pagne, armes et instruments divers en bois provenant de la Nouvelle-Calédonie." Des photographies de ces objets , rapidement identifiés comme des pagaies rituelles et des lances des îles australes, une lance et des casse-tête des îles Fidji, ont été confiées à Claude Stefani, aujourd'hui conservateur à Rochefort du musée Pierre-Loti. Grâce à lui, la "divinité" que nous avions un temps interprétée comme un simple "curio" - et transformée en fétiche pour conservateur - est devenu "LE RONGO" du musée de Cahors. Puisque sa rareté, ses qualités esthétiques et son état de conservation en faisaient un objet remarquable, il fallait savoir plus. 

La statue est une pièce de bois monoxyle qui mesure 73 x 18,5 x 14 centimètres. Le dieu Rongo est figuré debout, campé sur ses jambes légèrement fléchies, le torse droit et les bras repliés à angle droit. Il est vêtu d'un pagne constitué d'une ceinture tressée d'où pendent d'étroites bandes de liber, toronnées, pliées (comme gaufrées) et teintes d'un pigment rouge-brun sombre. Le visage est celui d'un jeune homme parfaitement imberbe. Comme dans ses autres représentations, mais avec plus d'élégance peut-être, il se reconnaît à des yeux fermés inscrits dans une ellipse, des sourcils droits, un nez droit et fin aux narines larges et ouvertes, une bouche horizontale et charnue, des oreilles en légère saillie. Le cou paraît lustré. Le buste est juvénile et peu musclé. Les mamelons sont traités en relief et le nombril en creux. Le sexe est circoncis. Les bras, tronconiques, sont détachés du buste. L'avant-bras gauche, fracturé en trois endroits a fait l'objet d'une réparation d'usage par perforation et ligature des éléments. L'avant-bras droit est intact jusqu'au poignet. Les mains ont disparu. Les jambes sont traitées de la même façon que les membres supérieurs. Les pieds sont schématisés par cinq incisions verticales parallèles et leurs plantes présentent des marques de coups. L'état de conservation est satisfaisant : une étiquette collée sur le torse est trop présente, les surfaces du bois sont très encrassées ; on trouve quelques traces de peinture, des fentes radiales sur le visage, derrière l'oreille et sur le torse. Le pagne, très poussiéreux, ne tient pas sur les hanches et des fibres s'en détachent.

En février 2001 Hélène Guiot, océaniste attachée au CNRS, a procédé à une analyse xylologique de la statue dans les locaux du musée de Chartres. Sa démarche est guidée par un souci de précaution à l'égard de l'objet et doit préserver son intégrité. La chute partielle de quelques franges du pagne, liée à un phénomène de dessiccation, lui a permis  de rassembler plusieurs fragments et de déterminer que le liber utilisé provient vraisemblablement d'Hibiscus tiliaceus (Malvacées). En revanche, il ne lui est pas toujours possible d'orienter les prélèvements de bois effectués sous les aisselles, la plante des pieds et l'entrejambes et ceux-ci s'avèrent de très petite dimension. Ses observations sont pourtant concluantes. Cas unique, la statue est taillée dans du Calophyllum inophyllum de la famille des Clusiacées. Cet arbre majestueux, connu sous le nom de d'ati ou de tamanu, était planté sur les marae royaux des îles de la Société. Il fournit un excellent bois d'œuvre à grain fin, de couleur rouge-sombre, recherché par les sculpteurs et les charpentiers de marine polynésiens pour sa dureté et son imputrescibilité. Bien que la tradition rappelle qu'il était employé pour la "confection des idoles", on ne l'avait rencontré que dans des appuie-tête, des plats (umete) et un manche d'herminette et on supposait que son très fort contre-fil le réservait à la fabrication des to'o - objets de bois non sculptés représentant la divinité et enveloppés dans de multiples couches de tapa. Nous savons à présent qu'il pouvait aussi se prêter à la sculpture de divinités anthropomorphes de grandes dimensions et que les Mangaréviens l'employaient indifféremment avec le Thespesia populnea (Malvacées) pour la représentation du dieu Rongo.

L'année suivante, Alain Renard a procédé au nettoyage du bois par actions mécaniques, micro aspirations et actions solvantées. Le pagne, dépoussiéré par solvants et pressage sur buvards neutres, est remis en place. Il est décidé de boucher les fentes radiales du visage par apport de pâte époxydique chargée en microbilles de verre et en pigments, mais de conserver la fente du torse. Ainsi restauré et soclé, l'objet a fière allure et son histoire reste à connaître.

Dans le "Relevé des dépenses relatives au Muséum départemental effectuées pendant les exercices 1832, 33, 34, 35 et 36 "à l'article" Inventaire des objets achetés ou donnés - Antiquités", on trouve : Armure complète de chevalier, trois rames de sauvage, deux lances en bois de fer, une longue lance de chevalier, deux casse-tête, un petit casse-tête, Fétiche des îles Gambier, une ceinture de sauvage en écorce, un casque et un devant de cuirasse trouvés à Gourdon. Les rapports de la Commission du musée départemental  nous apprennent que le 25 janvier 1835 : "M. le Capitaine Bonafous informe la commission du Musée qu'il fera bientôt expédier au musée des objets d'histoire naturelle et qu'il propose d'envoyer au Musée d'Histoire Naturelle de Paris un lama qu'il possède en échange d'objets demandés par la commission aux administrateurs de ce dernier établissement." Le 18 septembre 1835 :  "la commission spéciale chargée d'organiser le musée départemental signale en particulier M. le Capitaine de Vaisseau Bonafous, comme celui de ses correspondants qui a fait au musée le plus de dons en minéralogie et en objets curieux."  Enfin le rapport de la commission du musée adressé au préfet du Lot le 6 août 1838  décrit les premiers objets constituant le musée en ces termes : "à côté de la collection de médailles en composition, viennent successivement se placer 1° diverses médailles, les unes achetées, les autres données 2° des fragments de poterie et ustensiles d'origine romaine provenant partie d'achat, partie de donation 3° des armures plus ou moins complètes du moyen âge, des armes et ustensiles des peuples sauvages, ces derniers ont été envoyés par M. le capitaine Bonafous."

Les raisons pour lesquelles des objets des peuples sauvages sans provenance précise et un fétiche des îles Gambier sont devenus néo-calédoniens lors de la transcription de l'inventaire en 1883 deviennent sans importance ; leur date d'entrée dans les collections et le portrait de leur donateur se dessinent.  

Joseph Bonafous, également connu sous le nom de Joseph Bonafous-Murat, est né à Montgesty dans le Lot en 1788. Neveu par sa mère du Grand Amiral et Maréchal de France, Joachim Murat, il entre au service de la Marine comme novice à bord du vaisseau "Le Vétéran", le 23 octobre 1805. Il devient rapidement enseigne puis lieutenant de vaisseau et croise jusqu'en 1814 sur les côtes du Brésil, aux Antilles et en Méditerranée. Il est Capitaine de frégate et commande "La Galatée" lorsqu'il est exclu de la Marine au motif de bonapartisme aggravé, le 1er janvier 1816. Etroitement surveillé par la police de la Restauration, il obtient finalement son brevet de capitaine au long cours en janvier 1818. Nous perdons alors sa trace. Rappelé au service actif dans son grade le 16 novembre 1830, il sert à terre au port de Toulon et est fait chevalier de la Légion d'Honneur en 1831. Nommé au commandement de "La Thysbée" il part de Rochefort pour la station navale du Brésil d'où il passe dans les Mers du Sud ; il y reçoit  le grade de capitaine de vaisseau le 16 mai 1833. Avec le titre de commandant de la station du Pacifique - composée de "La Thysbée", de "L'Orytie", de "L'Alerte" et de "L'Alcibiade" - il visite les ports du Chili, du Pérou et de l'Equateur et ramène "La Thysbée" à sa base, le 24 juillet 1834. La suite de sa brillante carrière se passe à terre jusqu'en 1848. De retour dans le Lot, il accepte l'écharpe de maire en 1854 et administre la petite commune d'Anglars-Juillac (Lot) jusqu'à sa mort, le 22 septembre 1864 .

A présent le Musée de Cahors appartient au cercle restreint de ceux qui détiennent un objet primordial au pedigree prestigieux. On a pourtant du mal à croire qu'un capitaine au long cours se soit retiré dans son Lot natal durant quatorze années d'une retraite forcée. Est-ce pendant cette période que Joseph Bonafous serait passé aux Gambier et se serait approprié le Rongo ou l'a-t-il rapporté sur "La Thysbée" après son dernier séjour dans les mers du Sud ? Comment les habitants de Mangareva auraient-ils accepté de céder le support de la divinité de la pluie et de l'agriculture, alors que leur existence dépendait étroitement de la nature et qu'ils n'étaient pas encore christianisés ? Comme bien d'autres, ces questions sont en suspens. Le champ d'exploration est infini.
 

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